La préhistoire

page 3

Étude détaillée sur la sépulture du plus vieil Avignonais- partie 2



13031327075825_med
ANALYSE DE LA MATIERE COLORANTE
La fouille récente a confirmé la présence de la coloration rouge sur le squelette et sur le sédiment, déjà aperçue lors de sa découverte. La matière colorée déposée sur les coquilles de colombelle, sur l’os, et sur le sédiment d’ensevelissement a été soumise à l’application de deux méthodes d’analyse : une – en spectrométrie de micro-fluorescence X et l’autre – en diffraction des rayons X.
L’analyse en spectrométrie de micro-fluorescence X sur la matière colorée déposée sur la partie extérieure des coquilles a montré une concentration en fer, dont l’importance dépend de l’épaisseur de pigment conservé. - Le sédiment comblant la cavité des coquilles est calcaire et contient des oxydes de fer. - Le sédiment contenu dans le trou de perforation présentait les mêmes éléments constitutifs que celui déposé dans la cavité des colombelles. Il s’agirait donc de sédiment calcaire contenant des oxydes de fer. - Le sédiment comblant le trou de perforation ne présentait pas de traces de pigment rouge, tandis que le fond du trou de la coquille était coloré par un pigment rouge. - Quelques empreintes de coquille étaient colorées, ce qui correspondrait à la coloration primaire des coquilles y reposant. Cette matière colorante était identique à celle trouvée précédemment sur les coquilles. Elle contenait du fer, constituant des argiles.
L’analyse en diffraction de rayons X ne donne pas des résultats probants si le pigment rouge est en faible quantité, mais elle a permis de déterminer que la terre était de l’argile calcaire dolomitique contenant un peu de gypse. Utilisée sur la poudre colorée non broyée, elle a permis d’identifier le colorant comme étant de l’hématite. Elle démontre également la présence importante de quartz et d’argiles (entre autres le kaolinite). La même analyse, utilisée directement sur l’os et sur le prélèvement broyé pour l’identification du pigment rouge, n’a été pas probante. Toutefois, elle a permis de confirmer les composants chimiques du sédiment sur lequel a reposé le squelette, qui sont le quartz, le gypse et l’hématite.
En résumé, les deux analyses ont permis de savoir que le fond des cavités et les trous de perforation des coquilles de colombelles étaient déjà colorées avant leur mise dans la sépulture, alors que le sédiment qui les comblaient ne l’était pas ! La matière colorante des coquilles semble être un ocre à base d’hématite ou de goethite plutôt que l’un de ces minerais utilisés à l’état pur (spectrométrie de micro-fluorescence X). L’analyse effectuée sur l’ocre des colombelles et sur l’ocre du sédiment sur lequel reposait le squelette, révèle une présence non négligeable de quartz (diffraction des rayons X). Cette analyse est importante pour comparer cet ocre à des analyses de référence provenant de la région d’Apt et de celle de Mormoiron. Dans la région d’Apt, le quartz est un élément majeur de l’ocre (40%) contenu dans des sables ocreux, associé à des argiles de type kaolinite. Ce même type de sables rouges ocro-argileux est observé dans les niveaux inférieurs de Mormoiron et dans les profils de surface du bassin d’Apt. La recherche ultérieure permettra de préciser la provenance exacte de ce colorant, soit de la région d’Apt, soit de la région de Mormoiron. Ceci est très important pour déterminer l’aire d’approvisionnement en la matière première utilisée dans cette société préhistorique. Le résultat de toutes les analyses effectuées indique, l’emploi du colorant en deux phases : la première, avant la mise du défunt dans la sépulture car certaines colombelles de son vêtement ont été déjà colorées (probablement avant l’application sur ce vêtement) et la deuxième, après, sur le sédiment sur lequel le défunt a été déposé dans la sépulture, car la présence d’ocre a pu être identifiée sur la moitié supérieure de son corps vêtu (coloration des colombelles) et dans une moindre mesure, sur sa moitié inférieure.

ANALYSE PALYNOLOGIQUE

Plusieurs échantillons de sédiment provenant des zones ciblées ont été prélevés dans ce but-là. Si les pollens pouvaient se préserver, le résultat de cette analyse aurait eu un intérêt d’ordre paléo-climatique, permettant de déterminer la période climatique de cet évènement culturel, ainsi que la saison à laquelle il a eu lieu. Au grand regret de l’équipe scientifique, la recherche effectuée sur les pollens vient de s’avérer infructueuse : malgré de très nombreux échantillons examinés, les pollens n’ont pas été retrouvés !
Le Cardial. Dans l’aire culturelle considérée, le mode de décor par impression distincte (coquille, ongle, peigne) ou en séquence (coquille, poinçons divers) permet d’identifier le complexe Impresso-Cardial. On peut observer des Alpes aux Pyrénées, cinq styles céramiques s’intégrant dans ce complexe, dont trois auraient eu une répartition géographique moins discontinue (Impresso géométrique, Cardial géométrique, Cardial à zonation horizontale – stade ancien). Ils sont présents dans l’ensemble de la Provence, en Ligurie, dans la Péninsule italique et en Languedoc. Ces styles sont en place avant 5500 BC. cal. et disparaissent vers 5200 BC. cal.. L’emploi progressif du cardium (Cardium edoul) et la baisse de fréquence de la céramique lisse (monochrome) pourrait traduire une tendance évolutive. Les autres styles apparaissent comme régionaux, et se développent en Languedoc à partir de 5200 BC. cal.. Ici, la régression de l’emploi du cardium peut être considérée comme une tendance évolutive.
Le complexe Impresso-Cardial ne se manifeste plus dans le Midi de la France à partir de 4900 BC. cal. et laisse place aux groupes du Néolithique moyen à poterie non décorée (Chasséen). Dans la Ligurie, le Néolithique est plus précoce, et sa céramique se rapproche de la céramique de type Starcevo-Körös (Serbie, Roumanie). Il est daté de la fin du 6000 BC. Le Cardial géométrique constitue le style franco-ibérique et se développe à partir de 5000 BC. Sa phase ancienne est marquée par la présence de la céramique à fond convexe et par le décor au cardium organisé en registres de triangles ou de bandes à déroulement linéaire (Binder D.).
L’industrie lithique est dominée par des lamelles obtenues souvent par pression, des trapèzes asymétriques à côtés concaves empruntés au Castelnovien, et des triangles. L’emploi de l’os est attesté par la présence des cuillères et des lissoirs. La parure est confectionnée à partir du coquillage marin percé latéralement (Columbella rustica L.), des dentales, des perles discoïdes en test de pétoncle (Pectunculus) ou en calcite. Les bracelets portés par les enfants sont fabriqués en roche polie (présents dans les sépultures).
Les habitants occupent les terrains sablonneux, de petites collines sablonneuses en lisière d’anciens marais comme les Castelnoviens, ou des grottes. La rareté des outils d’abattage, comme herminettes, haches polies, milite en faveur d’un paysage plutôt ouvert.
La consommation des céréales comme l’orge, le blé amidonnier par les représentants de la culture Impressa (la plus ancienne étape évolutive du complexe Impresso-Cardial, connue dans des pays balkaniques) et les blés tendres/compacts, plus évolués, par les représentant du complexe cardial (les Cardiaux) est bien attestée. L’élevage du mouton et la perpétuation de la chasse au petit gibier apportait la viande nécessaire à la nourriture.
L’emploi du colorant ferrugineux (ocre ou hématite) est connu de plusieurs sites du Cardial. Il se présente sous forme de petits blocs ou de poudre. Cette dernière servait à imprégner les parois des vases, le sol des habitats et les squelettes inhumés dans les sépultures.

ETUDE SEDIMENTOLOGIQUE

Un examen micro-morphologique du sédiment sur lequel reposait le défunt est prévu.

ETUDE DU COLLAGENE, DES ISOTOPES (C13 ET N15), DATATION RADIOCARBONE (C14), ANALYSE DE L’ADN

Les valeurs isotopiques du carbone et de l’azote seront obtenues sur le collagène d’un échantillon osseux humain (prélèvement de 1g environ sur une côte du défunt la mieux conservée). Elles permettront de connaître dans quel environnement le sujet a acquis les protéines de son alimentation au cours des dernières années de sa vie. Les résultats doivent être replacés dans la chaîne alimentaire des consommateurs de ressources animales ou végétales. Le collagène sera extrait grâce à un protocole chimique (laboratoire UMR-CNRS 6578 de Marseille) ; ensuite il devra être lyophilisé. Quelques milligrammes restant seront analysés en outre par le spectromètre de masse isotopique et l’échantillon sera envoyé en Angleterre. Le résultat des valeurs isotopiques disponibles sera comparé à celui d’autres sujets néolithiques du Sud de la France. Cette étape de contrôle permet de préciser le taux de contamination de l’échantillon (le même protocole d’extraction est utilisé pour les analyses radiométriques). Cette analyse permet d’éviter en particulier les risques de « dates vieillies » obtenues par la datation au C14. La dernière nouvelle qui nous parvient est plutôt rassurante sur l’état de conservation du collagène et le juge suffisant pour obtenir une datation fiable au radiocarbone, même si ce point doit être encore confirmé par les résultats des analyses isotopiques. L’absence des dents liées au squelette rend impossible pour le moment l’analyse de l’ADN du sujet. Si l’on arrive à retrouver un fragment osseux non contaminé par l’ADN actuel, dont le poids serait suffisant pour le soumettre à cette analyse et dont l’enlèvement ne risquerait pas d’endommager d’avantage le squelette (probablement à partir du bout restant du fémur gauche ?), on pourra y procéder.

FILM DOCUMENTAIRE

La réalisation d’un film enregistrant les séances de travail de l’équipe lors du chantier de fouille a été envisagée. Ce chantier ne se déroulait pas, comme d’habitude, en plein-air mais au sein d’un laboratoire situé dans un vaste hangar. Deux objectifs ont inspiré cette entreprise. D’abord, constituer un document de travail et le registre de méthodes employées. Ensuite, faire un film destiné au large public, diffusé sous forme de DVD. Dans ce but-là, plus de deux cents séquences courtes ont été tournées lors de cette fouille et enregistrées à l’aide d’une caméra Sony Handycam dcr-hc40e.?Le souci principal est maintenant de trouver un sponsor pour financer le montage vidéo et son transfert sur support DVD. Evidemment, la Fondation Calvet sera prochainement sollicitée.
Résumé du texte original d’Aurélie Zemour par Jadwiga Krzepkowska (musée Calvet)


Remarque
Toutes les dates, qui sont citées dans le texte ci-dessous, sont obtenues par la méthode de datation par le radiocarbone (C14). Pour la meilleure compréhension du texte, ces dates, ont été unifiées et ramenées en années avant la naissance de J. Christ. En fonction de la précision fournie par l’auteur, les dates en années BP. sont calculées arbitrairement en années BC (donc, 2000 ans de moins par rapport à la date fournie par l’analyse C14), les dates indiquées en années BC. cal. sont réelles (calibrées). La fiabilité scientifique de toutes ces dates n’est toujours pas la même compte tenu, que certaines d’entre elles ont été obtenues il y a longtemps. Dans le début des années quatre-vingt dix, de nouvelles méthodes des mesures radiométriques dites « calibrées », ont été mises au point. Par le terme de « calibration » on désigne l’opération qui consiste à ramener en années réelles les dates en « BP. » ou « BC. » que donnent les mesures des teneur en carbone 14. Elles donnent 95% de confiance avec une petite marge d’incertitude et permettent d’obtenir la datation en années réelles. Du fait d’existence de fluctuations dans la production cosmogénique du C14, impliquant un ajustement de la plupart des dates C14, de nouvelles séries d’analyses dendrochronologigues, effectuées sur le bois, permettent les recouvrements chronologiques jusque vers 9500 av. J.-Ch. La méthode de l’uranium-thorium, appliqué sur les coraux datant de 7000 à 22000 ans en arrière, couplée aux mesures des teneurs en carbone 14 effectué à partir du même échantillon, a permis de corriger toutes les dates C14 postérieur à 18000 av. J.-Ch. Actuellement, toutes les chronologies employées doivent être exprimée en années réelles. L’examen détaillé de la courbe dendrochronologique pour le Néolithique montre une forte irrégularité dans la fluctuation de C14. Si celles-ci sont faibles, ces périodes sont dites « favorables » (depuis le début du Néolithique jusque vers 4300 av. J.-Ch.), et « défavorables », si elles sont fortes (à partir de 2500 av. J.-Ch., à l’âge du Bronze). Dans ce dernier cas, les dates BP. même avec la marge d’incertitude d’environ de 50 ans, correspond à un intervalle relativement long du calendrier en années réelles (J. Evin et allii)

CADRE CHRONOLOGIQUE ET CULTUREL DE LA SEPULTURE

La sépulture, qui est en cours d’étude et de datation, a été mise en place durant la première moitié de la dernière grande période de réchauffement climatique du Quaternaire – l’Holocène (dernier interglaciaire). Cette période débute vers 9250 BC. cal. et elle continue jusqu’à aujourd’hui. Elle est subdivisée en plusieurs oscillations climatiques qui étaient caractérisées par des variations de températures annuelles et du taux d’humidité. Durant ses deux premières oscillations appelées le Préboréal et le Boréal, le climat était chaud et sec, avec une température moyenne annuelle supérieure de 1°C par rapport à l’actuelle. A cette époque, existent encore les dernières cultures post-épipaléolithiques de l’Europe, en adaptant leur mode de vie aux modifications climatiques. Elles passent de l’économie de chasse à gros gibier à l’économie de chasse-cueillette. Bien avant le milieu de l’oscillation suivante appelée l’Atlantique, vers 6000 BC. cal., arrivent sur le littoral de la Provence les premières populations du Néolithique ancien – le Complexe Impresso-Cardial. Leur mode de vie est basé sur l’économie de production agro-pastorale. Son centre de diffusion se trouve sur les rives de l’Adriatique (Dalmatie, Pouilles). Ce complexe s’inscrit dans un vaste processus de néolithisation de l’Europe entière, dont les prémices se trouvent en Anatolie, Thrace, Thessalie, Bulgarie et en Serbie, où il est daté du VIIe millénaire BC. cal. Sa diffusion vers la partie occidentale de la Méditerranée (Languedoc oriental, Catalogne du versant sud des Pyrénées, Espagne et Portugal) s’est produite par la voie maritime. Les traces en sont visibles dans la diffusion précoce de l’obsidienne dans les îles tyrrhéniennes. Les vestiges témoignant de ces manifestations culturelles sont rares, isolés sur l’ensemble de cette partie de la Méditerranée, ce qui donne l’image de la présence de groupes humains de faible importance. Ces occupations recouvrent en même temps les anciens territoires des peuplades mésolithiques. De ce fait, l’évolution du Néolithique ancien ne peut être dissociée du devenir des dernières cultures mésolithiques, du Sauveterrien et du Castelnovien. L’appréciation de ce processus de transition d’une économie de subsistance basée sur la chasse, sur la pêche et sur la cueillette, à une économie de production des groupes néolithiques du Sud-Est de la France reste encore très difficile, car un hiatus de 500 ans sépare ces deux occupations humaines (absence de vestiges archéologiques en Vaucluse).

C’est à cette période de transition entre la fin du Boréal (fin Mésolithique) et le milieu de l’Atlantique (fin Néolithique ancien), autrement dit, dans un laps de temps de 1300 à 1200 ans environ, que la sépulture de la Balance-Avignon pourrait être située.

Vers 4600-4200 BC. (transition de l’Atlantique ancien au moyen) il y eut un épisode d’encaissement de l’hydrosystème (creusement des berges des terrasses en formation provoqué par le sapement latéral du cours d’eau des fleuves et des rivières) suivi par une forte érosion dans l’axe des lits fluviaux. Elle a provoqué une discontinuité sédimentaire très marquée, voire une longue lacune jusqu’au Tardiglaciaire (fin Pléistocène). Dans le bassin méditerranéen, cette érosion, qui a duré quatre siècles, a provoqué le déblaiement d’une grande partie des séquences des sites de l’Holocène ancien, localisés à proximité du réseau hydrographique, en outre celle des grottes et des abris. Durant les phases répétitives d’assèchement et de réchauffement de l’Holocène ancien, de nombreux sites relatifs au Néolithique cardial et probablement une grande partie des sites de plein air du Sauveterrien et du Castelnovien, qui étaient concentrés au plus près des points d’eau, ont disparu. Cet événement explique leur rareté actuelle dans les enregistrements sédimentaires du Sud-Est de la France par rapport aux sites du Néolithique moyen de la moyenne vallée du Rhône, qui apparaissent ainsi surreprésentés (Brochier J.-L.).
Au cours du Mésolithique, en début du Xe au VIIe millénaire. BC. cal., dans la partie Sud-Est de l’Europe, se développent deux complexes lithiques (cultures ou industries), qui sont représentés par des populations de chasseurs-cueilleurs : le Sauveterrien et le Castelnovien.

Le Sauveterrien. Les outils sont fabriqués en silex, rarement en os. Les outils en silex sont marqués par la géométrisation et la microlithisation de leur forme. Le complexe sauveterrien se développe dans le Sud de la France, en Italie et dans les pays balkaniques. Son outillage est hypermicrolithique et il comporte des triangles scalènes, des segments, des pointes de Sauveterre, qui servaient pour armer les projectiles (pointes de flèche). Pour leur fabrication, la technique de microburin était souvent utilisée. Le débitage par pression permettait d’obtenir des lamelles plus minces.

Le Complexe Castelnovien est issu du Sauveterrien. Il se développe entre le VIIIe et VIIe mill. BC. dans le Sud-Est de la France et le Nord de l’Italie. Vers le milieu du VIIIe mill. BC. cal. apparaît un autre projectile – le trapèze asymétrique. A partir de la période Atlantique (VIIe au IVe mill. BC. cal.) son pourcentage augmente constamment dans les inventaires des industries lithiques. Le trapèze, qui en devient alors le marqueur chronologique, est présent dans l’ensemble de l’Europe méridionale jusqu’à la Baltique. Il est encore présent à l’Age du Bronze, mais dans une forme plus évoluée, adaptée au mode de débitage et de type de façonnage de cette période. L’économie du Castelnovien est basée sur la chasse au sanglier, au bouquetin dans la haute montagne, et au cerf. La faune aquatique est représentée par divers poissons, et la tortue d’eau douce est également consommée. La récolte de mollusques marins comme la Columbella rustica L. est attestée. Ses coquilles étaient certainement employées pour la confection des parures. Toutefois, sur ces sites, on ne trouve pas de traces de cueillette et d’élevage. Entre 6200 et 5600 BC. cal., il n’y a pas en Vaucluse de traces témoignant de contacts entre les derniers chasseurs castelnoviens et les premiers peuplades néolithiques (Cardial). Ils peuvent être tardifs et datés du Néolithique moyen, à moins que les sites témoignant de ces contacts ne se soient pas préservés jusqu’à nos jours (Brochier J. –L.).


PRATIQUES FUNERAIRES

Pour la période comprise entre la fin du Mésolithique et le début du Néolithique, le nombre de sites sépulcraux connus dans la partie Sud-Est de la France et même pour le Midi de l’Europe est très restreint. Il en est de même pour d’autres parties de l’Europe situées plus au Nord. Au Néolithique ancien, les territoires de l’ensemble de l’Europe sont occupés par deux grands complexes culturels ou courants de néolithisation : le complexe Impresso-Cardial et le complexe Rubané. Leurs origines se trouvent entre le Bassin Pontique, la Thessalie, la Macédoine et la Dalmatie. Dans les toutes premières étapes de néolithisation de l’Europe méditerranéenne, le rôle prépondérant est joué par la culture Starcevo-Körös, existant déjà dans les Balkans. Sous son influence, se développe le complexe Impresso-Cardial. Le complexe Rubané, quant à lui, a ses origines dans le Bassin Pontique et se diffuse vers le Nord-Ouest et le Centre-Est de l’Europe.
Dans le Midi de l’Europe, les sites sépulcraux connus appartiennent surtout aux différents groupes du Cardial, qui sont éloignés les uns des autres. Les contacts avec d’autres cultures locales, les contraintes économiques ou environnementales pouvaient modifier les comportements funéraires de ces groupes. Toutefois, quelques traits communs à ce complexe culturel peuvent être indiqués. Les sépultures sont toujours liées à l’habitat lui-même ou sont situées à proximité immédiate (occupation de plein-air ou de grotte). Elles représentent des fosses creusées dans un sédiment. Les squelettes sont déposés en décubitus latéral sans pouvoir déterminer un côté préférentiel. L’axe géographique d’orientation du squelette varie selon le cas. Les squelettes reposent en position repliée (fléchie) ou accroupie, mais ils peuvent être également allongés sur le dos. Les membres inférieurs sont fléchis sous le bassin et les supérieurs vers le crâne. Il est possible de traduire cette position « contractée » comme étant forcée par l’emploi de liens en matière organique périssable ou par une économie de place. Aucune construction renforçant les parois de la sépulture n’a été observée. L’emploi de colorants (ocre, hématite) pour saupoudrer le corps du défunt est assez fréquent mais non systématique. La présence de mobilier, comme des tessons, des outils en silex ou en os, est extrêmement rare. Les offrandes ne sont pas connues. La parure, qui orne les vêtements du défunt, est abondante. Elle se compose de perles en coquillage marin (colombelles perforées latéralement), de tests de bivalves marins, de pendentifs ou de bracelets en roche polie. Ces mêmes pratiques étaient vraisemblablement communes au Castelnovien, du fait de la coexistence de ces deux cultures sur les mêmes territoires durant la période de transition méso-néolithique.
Il est important de signaler l’existence des deux sépultures cardiales au plus près du Vaucluse, en Ardèche. L’une est l’abri de la Vessigné à St-Marcel d’Ardèche daté au radiocarbone de 4757 - 4624 BC. cal.. Son squelette reposait en décubitus droit, en position contractée, avec quelques fragments de poterie cardiale. L’autre, a été découverte sur un site de plein air au Bosquet à St-Marcel d’Ardèche, dans un contexte de terrasse fluviatile, comme celle de la Balance-Avignon (l’Ilot P) que nous présentons dans ce texte.
Les sépultures des phases anciennes du complexe Rubané sont des inhumations individuelles situées à proximité des zones habitées ou directement dans les couches sous-jacentes des habitations. On peut les déterminer comme étant des fosses ou des cuvettes peu profondes. Les squelettes sont placés en décubitus latéral en position repliée. Les membres supérieurs sont fléchis vers le crâne et les inférieurs fléchis sous le bassin. Parfois la position allongée sur le dos est pratiquée. Les squelettes sont orientés le plus souvent selon l’axe Ouest-Est. Aucun mobilier n’est associé aux squelettes. On ne connaît pas les parures provenant de ces inhumations.
Les pratiques funéraires du complexe Impresso-Cardial ont un fond plus ancien, existant déjà dans la culture Starcevo-Körös. Les pratiques funéraires du complexe Rubané, du fait de son origine pontique et de l’existence du noyau de néolithisation Starcevo-Körös à proximité, sont très semblables aux précédentes. Plus anciennement encore, au Paléolithique supérieur final, sur l’ensemble des territoires de l’Europe centrale et méridionale, se développe le complexe culturel le Tardigravettien, dont le Sauveterrien est issu. De rares inhumations appartenant au Tardigravettien indiquent cependant que ces pratiques funéraires sembles être comparables à celles du complexe Impresso-Cardial. L’idéologie qui pouvait être liée à ces pratiques dès le Paléolithique supérieur final jusqu’au Néolithique ancien (complexes Impresso-Cardial et Rubané) ne nous est pas connue. De ce fait, l’emploi du terme « rite » au lieu de celui « pratiques funéraires » ne peut être accepté.

13031327151620_med
PASSÉ PRÉHISTORIQUE ET GÉOLOGIQUE DU SITE D’AVIGNON

La plus vieille occupation humaine sur le territoire d’Avignon débute vers la fin du Néolithique récent. Les travaux urbains menés durant les années soixante dans le quartier de la Balance et sur la Place du Palais (les deux situés dans la partie Nord-Ouest de la ville) ont permis de mettre au jour de nombreux vestiges du Chasséen final, comme « des fonds de cabanes », de la poterie, des lamelles débitées par pression chauffée, des outils sur lame ou sur éclat de silex, des haches polies, des outils sur os animal poli. Sur le Rocher des Doms (30 m d’altitude), dominant le site d’Avignon d’une dizaine de mètres, une des plus belles stèles anthropomorphes de Provence a été découverte (ph. 5). Quelques silex débités selon le mode chasséen avec des fragments céramiques permettant leur datation, ont été également récoltés à proximité.
Toutefois cet endroit n’était pas un lieu d’habitat. Sur la rive droite du Rhône, opposée à la ville d’Avignon, la présence du Chasséen final a été également attestée (le Rocher de la Justice, le Fort Saint-André à Villeneuve-lès-Avignon,..).

Cela permet de penser qu’il existait dans cette partie de la vallée du Rhône un centre d’occupation datant du Chasséen récent ( ?) et final qui atteignait une superficie de quelques hectares. Vers la fin du Néolithique (« Chalcolithique ») et au début de l’âge du Bronze, apparaissent dans le quartier de la Balance des groupes locaux dérivant du Chasséen languedocien, tels les groupes Ferrière et Fontbouïsse (actuellement groupe de Fraischamp et groupe Rhône-Ouvèze). En subissant des influences du « Campaniforme », leur poterie possède un décor plus riche. Un couteau losangique en cuivre à languette, unique en France, a été trouvé dans l’îlot U. Les occupants du Chasséen final utilisaient également de grands vases non décorés – silos à céréales (ph. 6). Leurs fragments ont été trouvés en outre dans une cabane située sur la place du Palais et abandonnée par ses habitants suite à un incendie.
Vers les XIIe et Xe siècles BC. (début de l’âge du Fer), la diffusion d’une idéologie liée aux rites funéraires appelée « Champs d’Urnes » atteint le quartier de la Balance d’Avignon. Son influence est attestée par la présence de vases peu profonds, aux surfaces graphitées et brillantes servant d’urnes, dans lesquels les restes issus de l’incinération des morts étaient déposés. Pendant les périodes romaine et médiévale, l’occupation de la ville d’Avignon se poursuit, toujours dans la même direction Sud-Ouest, au plus près du Rhône.

En 1965 et 1974, on a découvert dans ce même quartier de la Balance les deux sépultures humaines dites en « fosse », éloignées l’une de l’autre de 100 mètres. Elles étaient creusées dans les sédiments sablo-limoneux recouvrant la base de la terrasse récente du Rhône (18-19m d’altitude) constituée par des galets. Elles appartiendraient au Cardial. Toutefois, aucune structure d’habitat liée à cette culture n’a été réellement trouvée à Avignon. Leur attribution à la phase ancienne du Cardial s’appuie sur la présence de nombreux éléments de parure trouvés dans les sépultures.
En 1965, dans l’îlot V, le crâne d’un individu masculin âgé de 30 à 40 ans, ayant échappé à la destruction de la pelle mécanique, a été découvert (ph. 7). L’individu semblait être placé dans une position accroupie. Une parure, composée d’env. 300 perles faites de coquilles de colombelles percées latéralement, d’env. 3700 perles discoïdes découpées dans des tests de bivalves marins et d’un lissoir en os animal poli, a été recueillie près du squelette. Il est judicieux de souligner ici que le mode de perforation latérale des colombelles apparaît déjà dans les couches du Cardial ancien de l’abri de Châteauneuf-les-Martigues (B. du Rhône).
13031327122107_big
En 1974, dans l’îlot P, un deuxième individu masculin âgé de 20 à 49 ans a été trouvé : c’est lui qui fait l’objet de cette présentation. Son attribution à la phase ancienne du Néolithique ou à la transition méso-néolithique, s’appuie pour l’instant (dans l’attente de résultats de datations) sur la présence de la parure décorant le vêtement du défunt, composée de 160 perles faites de coquilles de colombelles percées latéralement, des 16 canines supérieures du cerf élaphe percées, et de traces de colorant rouge qui recouvrait certains os de son squelette et une partie des colombelles. La présence de ces deux derniers éléments plaiderait en faveur de sa grande ancienneté, et de son attribution à la période légèrement antérieure au Cardial, probablement au passage entre le Castelnovien et le Cardial ( ?).


La plaine alluviale de la rive gauche du Rhône, où se trouve Avignon, est entourée de trois îlots principaux, alignés selon une direction méridienne (N.NE-S.SW). Ils sont axés sur les localités de Châteauneuf-du-Pape, de Châteauneuf–de-Gadagne et de Châteaurenard. Ces structures, qui font apparaître les terrains du Crétacé inférieur au milieu des formations miocènes érodées, ont été arasées au Villafranchien (début du Pléistocène), ce dont témoignent des nappes d’épandages conservées dans l’axe de ces structures. Le massif crétacé de la Montagnette (entre Tarascon et Barbentane), très faillé, fait partie d’une structure qu’on retrouve au Rocher des Doms à Avignon. Sur la rive droite du Rhône, cette même formation géologique est visible en outre aux Angles et à Villeneuve-lès–Avignon. Elle se prolonge bien au delà, vers le Sud-ouest et au Nord, dans le Gard.
Le Crétacé inférieur est caractérisé par une importante sédimentation calcaire. Durant le Barrémien supérieur, se développent des calcaires blancs organogènes représentant le faciès urgonien classique. La série du Crétacé supérieur est représentée par des faciès détritiques gréseux. A l’Oligocène, s’achève le long épisode continental vers la fin duquel ont eu lieu des fractures majeures des massifs crétacés, favorisant le passage de la mer miocène. La zone rhodanienne émerge totalement vers la fin du Miocène et à partir de ce moment-là ; commencent alors son érosion et son creusement, provoqués par des nombreux facteurs atmosphériques. Au Pliocène, la mer envahit à nouveau les anciennes vallées et dépose d’abord des sédiments marins (Plaisencien), puis fluviatiles, plus sableux (Astien). A la fin, il s’en suivra un dépôt fluviatile à galets de quartzite majoritairement, de calcaire et de granite (Villafranchien). Au cours du Quaternaire, interviendront des phases de creusement nouveau et d’alluvionnement, qui détermineront un système de terrasses alluviales emboîtées, après lesquelles se déposeront des nappes alluviales récentes, dont celle du Rhône est la plus importante.

A partir du Tardiglaciaire et durant la phase ancienne de l’Holocène, les conditions climatiques de forte aridité, régnant entre le Rhône et les Alpes, ne permettent pas d’envisager l’existence d’un épisode de pédogénèse aboutissant à la formation des paléosols. En effet, celui-ci dépend de la reconquête végétale et d’un régime de pluies suffisant. La biostasie est bloquée par l’aridité de la première phase de l’Holocène. Le paysage reste ouvert (steppe arborée à pins sylvestres). Le flou supérieur d’insolation reçu par la Terre vers 7200 - 6500 BC. (maximum thermique probable) provoque l’évaporation des zones lacustres et la baisse durable des aquifères de la région, notamment dans la moyenne vallée du Rhône. A la limite du Préboréal et du Boréal (7000 BC) le climat est plus chaud qu’aujourd’hui et le mode de distribution des précipitations est différent de l’actuel. Le mécanisme de cyclogenèse méditerranéenne, différent de l’actuel, est à l’origine de l’apparition de forts contrastes et de la tendance à la continentalisation. Ces facteurs provoquent le développement des sols à couverture steppique prédominante, comme en témoigne la présence de phytolithes (7800 - 7500 BC., 6400 - 5600 BC.). Durant la période du Boréal, le climat est aride et un peu plus frais. La fréquence d’incendies dans la plaine côtière languedocienne jusqu’à la haute vallée du Var, Bassin Durancien, Basse et Moyenne Vallée du Rhône, est attestée par la présence des micro morceaux de charbons ferrugineux dans les dépôts sédimentaires. Plusieurs pics d’incendies, qui se développent aux dépends de la chênaie caducifoliée, sont notés autour de 5300, 4800, 4200 BC. Les ouvertures du milieu végétal se développent selon des cycles de 4 à 5 siècles. Les paramètres pédo-sédimentaires, qui sont plus sensibles que les pollens aux ouvertures du paysage, permettent de relever la subsistance des espaces ouverts.
L’Atlantique ancien (fin de l’Holocène ancien) est globalement peu humide et hétérogène, ce qui correspond à la deuxième épisode d’assèchement et de réchauffement survenant vers 4500 - 4200 BC. Depuis les montagnes jusqu’aux plaines, la torrentialité est très ralentie et le détritisme fin domine. De nouveau pics d’incendies sont enregistrés dans les dépôts sédimentaires.

Vers 4300 – 4000 BC. (transition de l’Atlantique ancien au récent), l’enchaînement probable d’épisodes de pluies très concentrés est à l’origine du phénomène de l’encaissement du Rhône. Il s’en suit une érosion drastique dans l’axe des lits fluviatiles des thalwegs, qui provoque une discontinuité sédimentaire très marquée. C’est à cette période que la plus grande partie des séquences des sites de l’Holocène ancien, localisés à proximité immédiate du réseau hydrographique (dans le lit du Rhône), est déblayée. Les débits solides sont évacués par les crues du Rhône en dehors des bassins versants. Ces transformations morphologiques provoquent un abaissement du niveau de la base de l’ensemble du système hydrologique de la moyenne vallée du Rhône.

EN CONCLUSION

L’occupation de type habitat n’est attestée à Avignon qu’à partir du Néolithique récent et final, et elle est liée aux groupes culturels dérivant du Chasséen final sous l’influence du « Campaniforme ». Elle continue à l’âge du Bronze ancien, au début de l’âge du Fer, durant la période romaine et au Moyen Age. Son évolution spatiale est étroitement liée à la terrasse récente du Rhône.
Durant les derniers millénaires, la force hydraulique du Rhône a formé plusieurs lignes de rivage successives, de plus en plus basses. A partir du quartier de la Balance et du pied du Rocher des Doms, situé au Nord-ouest de la ville, jusqu’à la rue St-Ruf, située plus au Sud-Ouest, on peut ainsi observer l’accroissement de l’extension des alluvions du Rhône. Celles-ci sont composées de sédiments fins. Elles ont permis à l’Homme du passé de s’y installer continuellement, après chaque étape de leur formation.
La découverte des deux sépultures dans le quartier de la Balance, attribuables vraisemblablement aux différentes étapes évolutives du Cardial ancien, soulève la question majeure de l’existence d’une occupation contemporaine cardiale à Avignon. Jusqu’à présent, une telle occupation n’avait pas été trouvée !

Deux raisons à cela.

1e/ La sépulture de l’îlot P a été déjà fortement détruite à la période romaine et au Moyen-Age. La sépulture de l’îlot V a failli disparaître à jamais lors des travaux urbains menés assez récemment, et nous ne savons rien de son état de conservation pendant les périodes historiques antérieures. Ainsi, durant ces deux derniers millénaires, d’éventuels habitats cardiaux de la Balance ont pu disparaître à cause d’aménagements ultérieurs. D’autre part, jamais la totalité du vieux quartier d’Avignon n’a été entièrement fouillée.

2e/ Nous venons d’évoquer les conditions climatiques et géomorphologiques existantes dès le début de l’Holocène jusqu’à la transition de l’Atlantique ancien au récent. Celles-ci ont déclenché des phénomènes de ravinement et de déblayage, qui sont à l’origine de la disparition des plus anciens sites du Méso-Néolithique situés dans la vallée du Rhône, voire même dans son lit. Des micro-morceaux de charbons ferrugineux dus aux paléoincendies de l’Holocène ancien et des phytolithes liés à la formation des sols steppiques dans le climat aride, dont la présence a pu être mise au jour lors du dégagement récent du squelette de son sédiment d’ensevelissement (avec lequel il a été prélevé en 1974), témoignent de la mise en place de la sépulture durant la période du Boréal, au moins ( !), antérieurement donc aux phénomènes de ravinement évoqués. Il est probable que les habitats du Cardial ont disparu durant cet épisode, alors que les sépultures placées vraisemblablement plus profondément dans la terre, à proximité, dans les sédiments des alluvions de la basse terrasse du Rhône, se sont préservées.