La préhistoire

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Étude détaillée sur la sépulture du plus vieil Avignonais- partie 1

Par Jadwiga KRZEPKOWSKA, Assistante préhistoire au  Musée Calvet

Redécouverte d’une sépulture préhistorique mise au jour il y a 35 ans dans le quartier de la Balance à Avignon pouvant modifier la date d’existence des groupes humaines sur le territoire actuel d’Avignon de quelque mille ans !

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Le coffrage de la sépulture

HISTORIQUE

C’est en juin 1974, lors de l’opération de sondage menée dans le secteur de l’îlot P, situé dans le quartier de la Balance, qu’eut lieu la découverte d’une sépulture contenant ce squelette humain. Elle jouxtait les infrastructures gallo-romaine et médiévale. Le crâne et le bras gauche étaient vraisemblablement déjà détruits à ces époques. La destruction d’une grande partie de membres inférieurs aurait été liée à un remaniement non déterminé, survenant à une autre période historique.

Aucun mobilier, situé à proximité du squelette, n’a été signalé lors de la découverte. Seule la présence de traces d’ocre et de nombreuses colombelles percées latéralement témoignaient déjà de sa grande ancienneté. L’âge méso-néolithique a été ainsi proposé par les découvreurs pour cette sépulture.

La sépulture avec la partie du sédiment provenant des alluvions récents du Rhône a été prélevée en bloc. Un coffrage en bois a été posé sur les bords du bloc afin de le protéger pour la manutention. Le tout, pesant env. 400 kg, était transporté au musée Calvet. La sépulture a été exposée jusqu’en 1989 dans une salle d’exposition de Préhistoire existant encore au musée à cette époque.

Il est important de souligner qu’en France méridionale, seule une quinzaine de sépultures du Néolithique ancien (Cardial) ont pu être inventoriées. Le musée Calvet, en plus des restes humains de la sépulture de l’ilot P de la Balance, en possède cinq autres, dont l’état de conservation est variable (la grotte d’Unang, l’abri N° 2 de Fraischamps, l’abri Edward, l’abri N°3 de Chinchon, l’ilot V de la Balance-Avignon).

Une étude très complexe de cette structure funéraire a été entreprise dans le cadre d’une thèse doctorale d’Anthropologie, préparée au lab. UMR 6130 CEPAM – UNS Roma – Sapienza par Mlle Aurélie Zemour. Pour faciliter cette recherche la sépulture en bloc a été transportée à l’atelier du Patrimoine de la Ville de Marseille (UMR 6130 CEPAM), où la future fouille devait se dérouler. Cette fouille, spectaculaire en soi, a été conçue pour être un exemple de recherche pluridisciplinaire. En l’occurrence, l’emploi des méthodes et des technologies les plus avancées actuellement en biophysique et en chimie a été programmé.

L’enregistrement des opérations de fouille a été prévu par le laser-scanner 3D. Cette procédure permettait d’obtenir la microtopographie facilitant l’observation des connections et dislocations anatomiques du squelette, de maintenir en permanence plusieurs niveaux de décapage obligés, du fait de l’abondance de la parure et de la position repliée du sujet. Son emploi permettra la modélisation tridimensionnelle de la position de différents composants de la parure, et de comprendre le rapport existant entre cette dernière et le volume du corps du sujet.


AGE DU SUJET, SEXE, HAUTEUR DE L’INDIVIDU


Seule l’existence de l’os coxal gauche a permis la détermination de l’âge du défunt lequel est compris entre 20 et 49 ans. Une précision plus grande n’a pas été possible à cause de l’état de conservation de l’os coxal. L’ajustement de l’âge du sujet pourra être tenté lorsque l’examen des vertèbres dorso-lombaires, qui se sont bien conservées, sera effectué. Ces dernières peuvent être affectées par certaines pathologies osseuses apparaissant avec la maturité de l’individu. Son appartenance au sexe masculin a été établie à partir de la morphométrie du même os. En l’absence du fémur entier, la hauteur de sa stature a été évaluée, à partir du seul humérus droit existant, à 1,66 – 1,67m.

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Etat de la sépulture à sa réception et une fois le niveau de décapage de 1974 retrouvé

POSITION DU SQUELETTE

Le sujet reposait sur son côté gauche, allongé selon l’axe N.NW/S.SE. A l’origine, sa tête était pointée vers N.NW, avec un écart de l’axe du Nord de 68°. En raison de la configuration de son corps, on peut présumer que le visage du défunt était orienté vers l’Est (ph. 3). Cela est assez couramment pratiqué dans les rites funéraires connus au cours de la Préhistoire. Le membre supérieur droit préservé était légèrement fléchi, alors que les membres inférieurs l’étaient plus fortement. Le degré de flexion du membre supérieur était d’un peu plus de 90°. Les éléments des pieds, un calcanéum et les fragments des deux astragales ont été trouvés rapprochés du bassin du défunt. Le sujet était inhumé dans une position anatomique cohérente, ce qui témoigne du dépôt originel de son corps.
Cette opération a dû survenir dans un laps de temps court après son décès, afin qu’on puisse donner à ses membres la position souhaitée. L’absence de trace du moindre élément évoquant une structure rigide, soit en pierre, soit en bois, entourant le squelette, indique que la désintégration du corps a eu lieu en espace libre. Pour expliquer la position fléchie du corps du défunt, il est possible, d’après Mlle A. Zemour, d’envisager ici l’emploi d’éléments vestimentaires en matière animale ou végétale (liens ?), qui contraignaient légèrement son corps et dont les traces ne se sont évidemment pas préservées.

ENJEUX DE LA FOUILLE

La fouille actuellement effectuée de la sépulture découverte il y a 35 ans est un événement exceptionnel en Archéologie. Elle doit permettre les observations du mode de dépôt du défunt sous tous les angles possibles, de comprendre au mieux son rituel funéraire, et de détailler les gestes qui l’ont accompagné.?Eu égard à l’importance de la parure existant dans la sépulture, la fouille a été menée sur deux plans parallèles : de la parure et du squelette. Pour ce faire, de très nombreuses colombelles et des canines de cerf ont été maintenues en place le plus longtemps possible. Pour pouvoir interpréter leur mode de disposition sur le vêtement du défunt, on a procédé à l’enregistrement de plusieurs variables sur chaque élément le constituant : face d’apparition, pendage, orientation, présence de l’ocre. La parure se composait de 160 colombelles et de 16 canines supérieures de cerf élaphe (appelé également crache ou croche), ces dernières n’existant que chez l’individu mâle.


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- Les colombelles (Columbella rustica L.)
La majorité des colombelles possédaient des traces de colorant d’intensité différente. L’analyse de leur surface permet de déceler la présence des deux phases de cette coloration : une antérieure au dispositif funéraire (certaines colombelles étaient déjà colorées avant leur application sur le vêtement) et l’autre qui aurait coïncidé avec l’inhumation du défunt. Grâce aux relevés du laser-scanner 3D, il a été possible d’abord d’isoler les deux côtés opposés du vêtement du défunt, l’un vu de l’extérieur et l’autre vu de l’intérieur, et de constater que la parure forme un ensemble très conséquent.

Ainsi, les colombelles sont rangées linéairement sur une bande d’env. 15 cm de large. A l’intérieur de cette bande, elles sont orientées selon leur grand axe, de l’apex au canal siphonal ou vice et versa. De manière standard, elles forment des groupements par dizaine. Dans chaque groupe, les colombelles sont appariées deux à deux et agencées, selon le secteur, soit du côté de la face perforée, soit par la face ventrale. Sur le côté extérieur du vêtement recouvrant le thorax du sujet, elles se placent de manière horizontale, en contournant les vertèbres lombaires. Passant au-dessus du coude droit, elles prennent par la suite la position verticale et longent la cage thoracique. Après, elles prennent de nouveau une position plus horizontale, pour être disposées à l’emplacement des vertèbres cervicales et de l’omoplate droite jusqu’à la bordure de la fosse antique. En ce qui concerne le côté intérieur du même vêtement recouvrant le thorax, celui sur lequel le sujet reposait, les colombelles forment également une bande large de 15 cm environ, équivalente à la précédente.

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colombelle (N°108) constituant l’élément de parure

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Elles passent au-dessous du coude droit jusqu’à la hauteur de la clavicule droite, constituant ainsi la bande située à l’intérieur de la cage thoracique, directement accolée à la face endothoracique des côtes. Les colombelles sont maintenues en place par la clavicule gauche. On les trouve également juste en-dessous du creusement qui est à l’origine de la disparition du crâne et du bras gauche du sujet. Leur disposition, groupées par dizaine, est identique à celle qui était visible de l’extérieur du corps. D’autres colombelles passaient nettement sous les vertèbres lombaires et se présentaient appariées deux à deux. Quelques unes sont plaquées sur les vertèbres du bas du dos, où elles se suivent une à une.


L’existence (inattendue) des craches, décorant le vêtement, est la grande surprise de cette fouille de 2009. Elle pourrait faire exclure l’âge néolithique pour la sépulture. Les craches étaient disposées le long du sternum, sauf deux, dont l’une a été retrouvée à l’emplacement du cou, à l’avant des premières vertèbres cervicales et l’autre dans la fosse antique. Leur mode d’application sur le vêtement est deux à deux et elles sont orientées la perforation vers le haut. Cette perforation est unique et elle est située dans la racine de la canine. La couronne étant dépourvue d’émail, et étant de forme arrondie – aplatie, se trouvait orientée vers le bas. L’analyse au microscope à balayage des traces probables d’usure sur ces canines permettra de déterminer le mode de leur application sur le vêtement. Eu égard aux observations effectuées au cours de cette fouille, on peut penser que le vêtement de la partie supérieure du corps du défunt, dont l’existence n’est attestée que par la présence de la parure, était un vêtement que le sujet a bien porté durant sa vie. Ce vêtement devait avoir deux pans, du côté droit et du côté gauche. Sur leurs rebords, 16 craches ont été attachées, en étant appariées deux à deux (8 craches en rangée de chaque côté). Cela permettait de lacer les deux pans de devant de son vêtement à l’aide d’un ruban en matière d’origine animale ou végétale.??[En attendant la reconstruction virtuelle du mode d’application de la parure sur le vêtement et de ses éventuels mouvements liés à la décomposition progressive du corps du défunt (modélisation grâce au laser-scanner 3D), on peut avancer l’hypothèse suivante : il portait un genre de « pèlerine », dont les « manches » auraient pu être formées par les points d’attache sous les bras, ce qui permettait d’obtenir deux parties présumées du vêtement, un devant et un dos. Ce vêtement était décoré sur tous ses bords de colombelles disposées en bande large de 15 cm environ. Les 16 craches appariées deux à deux sur les deux pans du devant de son vêtement, celui du gauche et celui du droit, servaient vraisemblablement pour le lacer. Il est probable, que sa tête ait été également protégée par une autre partie de ce vêtement, car les colombelles, ainsi que deux craches, ont été trouvées plus haut que les précédentes, au niveau de son cou. La disposition particulière des éléments de la parure ne permet pas d’interpréter la pièce vestimentaire du défunt comme étant une écharpe entourant son corps et, ayant, en plus, pour but de le contraindre. La faible flexion de ses membres supérieurs et inférieurs ne permet pas non plus d’interpréter son vêtement comme étant un genre de « drap », dans lequel le corps du défunt aurait été enseveli, car il n’aurait pas été assez long pour recouvrir ses membres inférieurs et de les maintenir dans une position repliée, et surtout, parce que l’application très décorative de parure sur son vêtement, dans ce cas-là, aurait été superfétatoire. En considérant toutes ces observations, on peut admettre que la position de dépôt de corps du défunt dans la sépulture avait été bien choisie par la société dans laquelle il vivait. Elle était proche de celle prise par l’homme naturellement, pour le repos, et à la fois, proche de celle, qui évoque la vie fœtale, bien que cette dernière ne soit vraisemblablement pas connue à l’époque. Il est possible qu’on ait en plus employé d’autres éléments, comme des liens périssables, dans le but de maintenir le corps du défunt dans la position bien précise afin de faciliter sa manœuvre pendant la cérémonie. Il n’est pas possible de savoir s’il portait un genre de « pantalon », car aucune colombelle, aucune crache, n’a été retrouvée près de son bassin et à proximité de ses pieds. En outre, la destruction importante de la partie inférieure du corps du sujet en rend la lecture impossible.
Par J. Krzepkowska]